Lors des toutes premières rencontres avec son patient, le thérapeute doit avant tout repérer les
signes cliniques présentés par celui-ci. En psychothérapie, nul besoin de poser un diagnostic.
Cependant il me semble être utile d’avoir analysé ce dont il souffre et à quelle famille structurale
psychique il semble appartenir. En ce qui concerne les signes cliniques distinguant les pathologies
des schizophrénies et des paranoïas il est bien entendu utile d’en déterminer l’orientation ou même
en saisir les caractéristiques afin d’orienter le patient dans son accompagnement thérapeutique tout
en permettant au psychothérapeute de se protéger. Lors des entretiens préliminaires à la prise d’en
charge d’un patient il est déjà extrêmement utile d’écouter son discours pour y repérer : la
cohérence ou l’incohérence de ses phrases, la dimension fantasmatique de sa pensée et si celle-ci
a un sens. On parle de personnalités pathologiques car ce qui apparaît au premier plan c’est une
manière de se conduire dans la vie qui fait symptôme. Aussi bien dans les schizophrénies que dans
les paranoïas nous sommes dans ces comportements dits pathologiques. La schizophrénie est une
psychose et signifie en grec « fendre l’esprit ». Elle se détermine en principe de par l’observation
d’idées délirantes, d’hallucinations auditives, de désorganisations et de pauvreté du discours.
Lorsqu’un patient présente ces troubles, il faut les distinguer suffisamment longtemps afin
d’écarter tous troubles bipolaires ou induits par la prise de toxiques tout comme pour les
personnalités paranoïaques. La désorganisation du schizophrène est due à un état morcelé du
patient (stade du miroir non introjecté), de ce fait dans le processus de forclusion du nom du père
le signifiant perd de ses propriétés. Certaines schizophrénies peuvent évoluer vers un type
paranoïde d’où la difficulté à en apprécier les différences. C’est ce que l’on constate dans la
schizophrénie de Claude qui se présente sous une forme mineure Et nous fait souvent constater
des délires paranoïdes à la première séance pour qu’ensuite le diagnostic de schizophrénie puisse
être posé. Freud parlera le premier de Werverfung que Lacan traduira par forclusion du nom du
père concernant le schizophrène. Pour Clérambault le patient ne peut se reconnaitre dans ce qui
l’anime et l’hallucination auditive est perçue comme une voie étrangère, on parle alors
d’extranéïté. La paranoïa est un syndrome dans lequel le patient éprouve qu’il est personnellement
la signification que ce qui se produit autour de lui. Tout devient donc factice et se traduit comme
une véritable mise en scène. Il attribue donc le savoir à l’autre alors que le schizophrène attribue
son savoir à sa xénopathie. On retrouve chez le paranoïaque les symptômes suivant : la méfiance,
la réticence, il peut-être aussi extrêmement prolixe lorsqu’un sujet lui tient à coeur souvent sur le
registre de l’indignation, la dénonciation de l’objet « a », on retrouve dans son discours de la
rancune, un sentiment de persécution et de jalousie. A contrario le schizophrène va délirer sans
qu’il n’y ait aucun sens à son délire aucun sens avec la réalité. La perplexité dans laquelle il va se
trouver va pour ainsi dire l’embarquer dans du non-sens. Alors que pour le paranoïaque on va
parler de délire d’interprétation lorsqu’il ressent de la perplexité et l’interprétation des signes va
dans le sens de l’accusation… Le paranoïaque ne croit pas à la culpabilité, le mot allemand que
Freud utilise est « Unglauben » l’incroyance dans l’altérité de l’autre pour Lacan puisque l’autre
apparait dans son mode de pensée entièrement calculable. Pour Lacan « un signifiant représente
un sujet pour un autre signifiant » mais pour le paranoïaque c’est le signifiant qui étiquette le sujet,
qui l’épingle. Il n’est donc jamais coupable car il va se justifier sur son absence de culpabilité,
protester et on observe un retour vers le réel car c’est de ce fait l’entourage qui est condamné. Les
paranoïaques ont des hallucinations auditives lors des délires d’interprétation mais ça ne vient pas
de l’intérieur contrairement au schizophrène mais de l’extérieur (syndrome du mur mitoyen de
Charles Melman). Les délires passionnels font partis des délires paranoïaques décrits par
Clérambault : l’érotomanie, la revendication, la jalousie. L’érotomane cherche à construire ellemême
son délire dans l’intuition ce que l’autre « attend d’elle » et tout le comportement de l’autre
est sujet à interprétation. Il est important de souligner que les thèmes de préoccupations sexuelles
on ne les voit pas chez les schizophrènes mais chez les paranoïdes. Le paranoïaque se trouve à la
place de la référence comme le dirait Charles Melman à la place du Phallus, ce n’est plus le
phantasme qui soutient le sujet mais l’idéal de son image spéculaire, image précarisée par
l’humiliation à l’origine généralement du déclenchement. Normal que tout vienne vers lui, et si ça
ne vient pas vers lui c’est qu’on les lui vole. Lacan est revenu plus tard sur sa thèse : « la psychose
paranoïaque dans les rapports avec la personnalité » … « je me suis opposé à la réédition de ma
thèse, parce qu’il n’y a pas de rapport entre la paranoïa et la personnalité. Pour la bonne raison
que c’est la même chose » en ce qui concerne la paranoïa c’est le refus de la contingence, une sorte
de passion, d’un être sans faille, d’un être qui pourrait se passer de la question de la vérité. Et on
distingue donc dans les paranoïas une mise en continuité du noeud borroméen et les trois registres :
« réel symbolique et imaginaire » représentent un bout de ficelle continu autour de l’objet « a »
problème de personnalité qui déséquilibre quand même la structure. Les différences entre
paranoïas et schizophrénies sont nettes, mais pas toujours au premier abord. Dans la poursuite de
la cure il est donc évident d’en distinguer les différences et de l’orienter en fonction. Par ailleurs,
un schizophrène peut présenter des traits paranoïdes. Mais ce dont on doit garder à l’esprit c’est
qu’il n’est pas utile et peut-être même dangereux d’analyser dans les deux cas les propos de chacun
en favorisant l’association libre. Pointer du doigt une défaillance, un non-sens risque de rendre le
schizophrène encore plus délirant et le paranoïaque encore plus méfiant. La cure doit être orientée
en tenant compte des tendances de chacun d’entre eux et surtout lorsqu’on repère une personnalité
paranoïaque il est nécessaire de penser à se protéger et en dire le moins possible. Le grand autre
est dans la voix intérieure pour le schizophrène mais pour le paranoïaque c’est le persécuteur qui
est à cette place. C’est donc le psychothérapeute que désigne ce dernier lors de la cure. C’est pour
ça qu’il est utile de diffracter le suivi dans ce cas pour éviter un transfert massif. On n’accompagne
pas de la même manière des deux profils même si au fond les lignes directives sont similaires. Se
rendre compte de leurs pathologies respectives c’est oeuvrer dans deux sens différents pour la prise
en charge de leurs maux puisque pas du même registre ni surtout issus de la même structure.