Les concepts de la méthode psychanalytique s’articulent toujours selon l’ensemble des réseaux théoriques à l’épreuve de la pratique. Leur place occupe et est déterminée par l’époque donnée dans le langage de la communauté des psychanalystes. On peut dire qu’en psychanalyse toute signification conceptuelle est en définitive une signification contextuelle. Les méthodes psychanalytiques qui en découlent représentent l’élaboration d’une trame correspondant à l’assemblage théorique à la pratique selon un contexte donné en s’efforçant d’établir une méthode valable dont le but est la prise en charge du patient à des fins thérapeutiques. Dès les premiers concepts théoriques Freudiens jusqu’à l’élaboration de sa méthode psychanalytique s’est construite une trame évolutive selon certains fondements. Entre les deux grandes élaborations structurales de la méthode psychanalytique qui sont celles de Freud et Lacan les variant thérapeutiques des concepts de Jung, Ferenczi, Balint et Winnicott viennent nous amener à concevoir d’autres méthodes qui de par leurs émergences selon un contexte donné nous permettent d’en comprendre la principale trame et leur approches différentielles à travers notamment la question du transfert.

La théorie Freudienne s’appuie sur le concept d’appareil psychique. Construit selon des significations étiologiques sur la vie sexuelle de l’enfant selon les principales étapes de la pulsion de celui-ci : orale, anale, œdipienne. C’est de ce point de vue, de par la gestion des pulsions pour l’enfant selon le principe de plaisir et le principe de réalité vont se produire des aménagements psychiques tel que le refoulement ou autres mécanismes de défense. Le moi de l’individu va donc se constituer de manière adaptative et névrotique grâce principalement au refoulement vers l’inconscient. La cure psychanalytique selon Freud va être établie selon la mise en place d’un cadre thérapeutique favorable afin que le patient puisse puiser dans son inconscient les notions importantes à l’analyse de son moi. Par l’intermédiaire de la régression et du transfert dans la cure le patient va dérouler « la bobine de son inconscient grâce au fil de sa parole » dans un but thérapeutique.

Karl Gustav Jung est au début du 20ème siècle le meilleur élève de Freud mais celui-ci va peu à peu se détacher du « maitre » car il n’est pas d’accord avec ses points cardinaux à savoir le fait de baser sa théorie sur les stades de la sexualité infantile. Jung pense pouvoir dans la cure faire l’économie de la sexualité infantile, du complexe d’œdipe et également la nécessité d’analyse de l’enfance du patient. Pour lui l’inconscient n’est pas caractérisé par le refoulement sexuel inconscient. Jung affirmait : « qu’il n’y avait pas de psychologie individuelle sans psychologie collective » et inversement. L’imaginaire prévôt sur le symbolique dans la mise en place de la cure. Jung reconnait que l’inconscient pense de manière autonome et automatique à l’insu de l’individu. Les pensées inconscientes qui s’y trouvent sont articulées par des mots mais aussi par des images. Pour lui, dans l’inconscient, il y a les signifiants comme dirait Lacan ou les traces signifiantes, mais il y a aussi des représentations. Le rêve représente de ce fait tout bonnement une mise en image non pas une juxtaposition manifeste et figurabilité sans principe de choix comme pour Freud. D’après Jung ce que l’on ne peut pas dire, on peut le représenter comme une scène de théâtre invitant analysant et analysé à y participer. Ce qui constituerait notre intériorité à notre insu et c’est ce que Jung appelle : « des complexes à haute charge émotionnelle ». Il va inciter le patient à dérouler à travers les mots les images issues de la matière brute, du corps, du sensoriel. De ce fait il reste sur le ressenti, il prend les choses sur le vif c’est ce que Freud classait dans les névroses actuelles. Sur la question de la régression et notamment celle de l’attachement à la mère alors que Lacan en fait un désir, Jung en fait un concept autour d’un retour à « la mère nature » quasi mystique. Dans « métamorphose et symbole de la libido » Jung va essayer de comprendre les émois d’une femme mettre en scène des rites des mythes dans le but de tenter de lui faire exprimer ses affects. Le travail du thérapeute selon Jung sera de réactiver le conflit actuel, le rendre plus dramatique afin que le patient exprime tous ses affects liés à la situation et ainsi réveiller ses facultés créatrices pour favoriser la résolution du problème. Dans l’alliance thérapeutique jungienne il y a la créativité conjointe de l’analysant avec l’analysé et c’est là que l’analyste jungien se sert des mythes, des rites, et du collectif qui organisent notre vie sociale pour nourrir symboliquement et imaginairement le conflit du patient, pour le faire revivre dans le transfert. L’inconscient n’est plus une autre scène comme pour Freud mais un autre moi-même autonome que Jung appelle le SOI. Notre inconscient a des facultés créatrices qui faut laisser s’exprimer d’après lui, notre inconscient sait tout et peut traduire en image les affects. Notion d’imago que l’enfant va aller chercher chez l’autre comme un idéal et on est là encore dans l’image plus que dans la construction de son moi.

Ferenczi est un médecin clinicien lui aussi élève de Freud, il rencontrera Jung en Suisse en 1907. Il est connu pour ses travaux sur le trauma et c’est lui alors élève de Freud qui à parler de la notion d’introjection. Il a constaté qu’il pouvait y avoir des freins à la méthode Freudienne : le premier c’est la complaisance d’une satisfaction pulsionnelle, que Lacan appelle jouissance et qui bloque la cure. La deuxième difficulté que Ferenczi a relevée, c’est l’existence d’un transfert amoureux qui bloque également le processus de prise en charge. Le transfert négatif à un moment donné où le patient manifeste son agressivité, à travers une pulsion de destructivité et de mort peut également menacer la poursuite de la cure. Il a aussi constaté que le paiement de la séance comme l’investissement dans celle-ci pour le patient indiqué par Freud pouvait se transformer à « je paie donc j’ai le droit de ne pas m’y investir ». Ferenczi va essayer de trouver une solution à ces impasses thérapeutiques et faire redémarrer une analyse stagnante. A un moment donné en effet la libido se retire de ce transfert nécessaire au travail et va se réfugier et nourrir des fantasmes inconscients et se loger dans la jouissance. Il faut donc toujours relancer le travail transférentiel et pour en revenir à Lacan « traiter la jouissance par le désir ». Donc s’il y a un problème dans la cure il faut chercher dans le transfert comment le résoudre. Ces interventions actives de Ferenczi, on pourrait les appeler ce que Lacan appelait des « actes analytiques » : ce ne sont pas des interprétations, ce sont des actes. Il peut alors de manière assez autoritaire demander au patient de renoncer à la jouissance qui encombre le transfert. Ou à contrario, permettre au patient de donner libre cours à la jouissance pour sauver une analyse qui pourrait de ce fait provoquer l’irruption dans la conscience d’une motion pulsionnelle ou d’une pulsion jusque-là refoulée et en conséquence la remise en marche des associations taries ou stagnantes du patient par la levée des résistances. Sandoz Ferenczi finira par admettre malgré l’aspect intéressant de sa théorie que cette méthode dite « active » fait de l’analyste une figure d’autorité est de ce fait très peu propice au développement d’une atmosphère mutuellement respectueuse recherchée dans l’analyse. Ferenczi a compris que la neutralité, l’indifférence, prônée par Freud pour ne pas enfermer le patient dans une relation sans avenir avec l’analyste, ne sont pas valables avec tous les patients ni à tous les stades d’une analyse. Face aux états dit « limite » il a tenté de mettre en place une relation basée sur la sollicitude et la bonne camaraderie mais s’est vite rendu compte que cela amenait dans l’impasse thérapeutique également puisque le cadre n’était de fait alors plus respecté.

Balint est un analysant de Ferenczi et à développer la relation primaire de l’enfant à la mère si carence, et s’il est possible pour lui de créer un substitut maternel ou paternel. Balint pense qu’en cas de carence maternelle et d’absence de substitut, il peut se produire au-delà d’un défaut fondamental dans l’organisation structurale : une faille dans le psychisme. Cette faille ne peut pas guérir mais se cicatriser et c’est le travail thérapeutique qui aide à refermer la cicatrice du défaut fondamental.  Au moment de la cure et aux abords de ce défaut le patient va être atteint régression qui est un retour temporel et topique dans le temps et dans la structure de la libido et opère comme un désinvestissement narcissique de l’objet. Pour Balint, à ce stade, et surtout si la faille engendrée par ce défaut fondamental est ouverte les interprétations « classiques » dans la prise en charge n’ont aucuns intérêts et semblent inappropriés et le contre transfert difficile. La cure se trouve alors être dans un autre espace transférentiel. C’est là que nous retrouvons la spécificité de la cure de Balint car d’après lui à ce moment-là il n’y a pas de posture dite « classique ». Il introduit alors la communication non verbale dans celle-ci. Il applique également une pratique prônant la gratification pour prévenir l’effondrement narcissique du patient et le soutenir « lui éviter de tomber dans le trou de sa propre structure » là où le tiers structurant fait défaut l’on appelle cette pratique la psychothérapie de soutien. C’est aussi permettre au patient de « tenir le doigt de l’analyste » pour ne pas s’effondrer et tomber dans sa propre faille.

Pour Winnicott le nourrisson pense que le sein maternel fait partie de son corps propre et tout se construira par séparation et perte de cette illusion originaire. Il faut que l’enfant se tourne vers l’autre, et pour cela il est nécessaire qu’il se détache de l’illusion originaire et cela suppose pour Winnicott qu’il se le crée de manière hallucinatoire. « La mère suffisamment bonne » pour Winnicott c’est celle qui permet dans l’espace de toute puissance entre la mère et son enfant la constitution de l’espace transitionnel et les objets transitionnels. Faire en sorte que l’enfant trouve un objet subjectif : un doudou pour calmer sa pulsion, son excitation orale ou autre. Cet espace transitionnel c’est la place du tiers dans la cure c’est-à-dire le cadre thérapeutique posé par le psychanalyste dans la prise en charge de son patient. A travers la notion de self chez Winnicott : moment où l’enfant commence à passer du « on » au « je » ou il se constitue une intériorité. Les borderline les cas limites ont beaucoup de mal à construire leur intériorité, chez certains d’ailleurs subsiste un vide abyssal. Ne pas avoir de self c’est aussi pour Winnicott se constituer un « faux self ». Ce self c’est la construction du soi, c’est le stade du miroir de Lacan comme formation du « Je ». Winnicott va distinguer le vrai self du faux self qui est un self d’emprunt en dehors de soi-même et qui caractérise les personnalités pathologiques « as if ». Cette théorie est un élément majeur à prendre en compte dans la clinique des états limites.

Freud dans l’abrégé de psychanalyse (p78-79) parle de l’utilisation du clivage comme une solution dans la gestion des affects face à une faiblesse de leurs représentations. L’état limite grâce au clivage réagit en réponse à une « crudité fantasmatique » qui le caractérise. La prise en charge thérapeutique devra en répondre dans le transfert. (Jean Bergeret – Wilfrid Reid – narcissisme et états limites p 185) édition Dunod. Ce que Balint appelle le défaut fondamental, c’est pour Lacan le point ou s’origine le manque dans l’être qui correspond à la perte ou à la séparation de l’objet pulsionnel. 

En effet, le concept de narcissisme arrive après lors du stade du miroir lorsque l’enfant prend conscience de son unité : constitution de l’intériorité, du self qui va s’effectuer qu’après la perte, « perte du placenta », d’un bout de lui-même illustré à travers « le jeu du for da ». Cette expérience est indispensable pour faire de lui un être désirant. Le concept de l’objet « a » de Lacan objet du désir et non plus objet pulsionnel à la recherche du plus de jouir. Principe identificatoire qui permet à l’enfant vers l’âge de 18 mois de se constituer en tant que personne et grâce à sa fonction d’être désirant. C’est un acte sublimatoire purement symbolique que l’accès au langage, accès à la constitution psychique de l’être humain.

Dans son séminaire sur La Lettre volée, Lacan expose clairement son ambition de mettre en évidence l’automatisme de répétition dans l’insistance de la chaîne signifiante, caractérisée par l’ordre symbolique, et dont l’ambition toujours renouvelée est d’atteindre, par des déplacements du signifiant, la lettre oubliée, cachée, qui manque sans cesse à sa place dans le symbolique, et dont l’inconscient garde la trace, dans le réel, sans qu’aucun savoir puisse l’en déloger. Il y a de part cela une exploration de la chaine des signifiants dans la cure thérapeutique. L’intérêt de cette cure c’est d’orienter le travail du patient selon l’articulation de ses fantasmes, dans son séminaire sur l’angoisse Lacan dit : « le sujet voit le réel à travers la fenêtre de son fantasme ». On va le faire passer de l’objet narcissique fantasmé à la cause du désir. Le psychanalyste vient dans le transfert à la place de cet objet du fantasme et c’est ce que l’on appelle la névrose de transfert. Le transfert vient à la place de cet objet « a » cause du désir pour Lacan et non à la place de la mère suffisamment bonne alors que Winnicott, Balint, Ferenczi, Jung, Freud fonctionnent tous sur l’idée d’une régression à la mère dans le transfert.