Selon John Locke au 17ème siècle l’identité individuelle est relative à notre conscience, Charles Bonnet toujours au 17ème siècle c’est notre cerveau qui définit notre identité.

A la fin du 19ème siècle Freud alors neurologue abandonne ses recherches sur le cerveau par manque d’outils techniques pour se consacrer à ses recherches sur le psychisme.

Tout au long du 20ème siècle les tentatives d’articulations entre neurosciences et psychanalyse ont souvent débouchées sur une hétérogénéité absolue ou une absorption d’une partie de la psychiatrie par la neurologie, jusqu’à un risque de soumission de la psychanalyse aux neurosciences.

On a également assisté avec Mark Solms à la traduction des concepts psychanalytiques par des concepts neuropsychologiques.

Lacan a fait le lien entre neurologie et psychologie avec l’idée selon laquelle l’interruption de la chaine signifiante renverrai aux mécanismes cérébraux dans les maladies psychiatriques.

Grace au travaux sur l’Aplysie de Kandel dans les années 2000 sur la plasticité neuronale les rapprochements entre psychothérapie et psychanalyse ont pu se faire de manière plus probante si bien que dans leur livre : « A chacun son cerveau » Pierre Maigistretti et François Asermet en 2011 mettent l’accent sur le fonctionnement unique de chaque mécanisme cérébral.

Il est évident de la particularité unique de chacun d’entre nous dépend de la structure de son cerveau. Il est donc question de comprendre ce qui a permis cette constitution de l’unique d’un point de vue neurologique et psychodynamique.

Freud dans ses recherches va parler en terme « d’appareil psychique » plutôt que « d’appareil neuronal ». Cela marque le début de sa théorie basée sur l’étude du comportement humain, son interrogation face à la sémiologie psychiatrique basée sur les nombreux cas de psychonévroses ont donnés lieu dans le champ des sciences humaines aux élaborations des diverses notions psychanalytiques.

Freud a cependant souligné en 1926 dans « au-delà du principe de plaisir » que : « un jour peut-être les progrès de la biologie seront suffisant pour permettre l’instauration d’un dialogue » entre psychothérapie et neurosciences.

Aujourd’hui donc près de 100 ans plus tard : en quoi les progrès des neurosciences constituent-ils un apport à l’étude de la psychopathologie ?

Cette étude en sciences humaines qu’est la psychanalyse posant la question de la différence entre l’inné et l’acquis, du conscient et de l’inconscient nous renvoi inévitablement à l’étude des mécanismes du cerveau et à la question du soma et de la psyché. Des fonctionnalités du cerveau par rapport à « l’être » de l’individu ses expériences et les moments qui ont marqués son existence.

Il y a d’un côté les progrès de la science qui ont permis grâce à l’imagerie cérébrale dans les années 1950 d’enrichir les princeps psychothérapeutique et affirmer ou infirmer dans le cadre de découvertes de lésions cérébrales les diagnostics en psychothérapie.

Depuis les années 1960 on sait également que les recherches neuroscientifiques ont mis en évidence entre autres les changements de structure cérébrales et les modifications de neurotransmetteurs dans les maladies psychiatriques.

C’est à ce moment-là que le psychiatre psychanalyste Sylvano Ariéti avait avancé que la schizophrénie et la psychose maniaco-dépressive pouvaient être considérées comme des maladies mentales psychosomatiques donc dépendant du soma périphérique alors que le fonctionnement du cerveau dépend de la physiologie des neurones.

Il en va de même pour Yung avec la théorie exogène psycho affective qui crée un affect fort et produit un déclenchement schizoïde.

Pour Lacan dans son 11ème séminaire en 1963 il est question de « gélification/pétrification de la chaine signifiante » et la chaine signifiante s’arrête et la dialectique du désir également « le signifiant du désir de l’autre devient opaque » et mystérieux » et de ce fait renverrai au soma au lieu de relancer la dialectique du sujet. Cela renvoi inévitablement aux circuits homéostatiques du cerveau. Lacan met l’accent sur l’arrêt de la chaine signifiante (y compris inconsciente) pour de ce fait expliquer les traces au sein même de l’appareil neuronal lorsqu’il y a interruption de la chaine des signifiants dans certaines maladies mentales. Il semblerait que Lacan à ce moment-là introduise les neurosciences dans ses théories psychanalytiques.

La question des maladies psychiatriques et les neurosciences plus tard selon Ansermet et Magistretti : « en fonction des points d’intersection et de butées respectives dans la mise en évidence des maladies psychosomatiques du cerveau et de disfonctionnements de la chaine signifiante ».

Peu à peu les découvertes en neurologie pouvaient donc nourrir le champ de la psychanalyse. 

C’est à travers des réflexions sur la neuro psychanalyse dans les années 1990 qui nous ont permis de commencer à réfléchir sur ce rapprochement entre neurologie et psychothérapie. Ceci va aboutir sur les fondements épistémologiques du dialogue interdisciplinaire entre psychanalyse et neurosciences ; ou chacune des deux parties doit trouver sa place malgré leurs mécanismes différents pour aboutir à une théorie sur laquelle s’appuyer.

La science doit émettre des théories irréfutables, alors que la psychanalyse évoque des processus, des relations de « cause à effet » entre les « points de capitons » mémoriels qui sont d’ailleurs bien souvent contradictoires donc difficiles à théoriser de manière scientifique.

Il est important dans le rapprochement des deux parties de garder à l’esprit la nature même de la psychanalyse afin de ne pas la soumettre à la science.

Les découvertes sur le cerveau de Kandel grâce à ses travaux sur l’aplysie au tout début des années 2000 met en évidence la plasticité cérébrale et les mécanismes cellulaires et moléculaires. On peut d’ailleurs se poser la question à savoir si en 1890 Freud avait disposé des mêmes moyens techniques que ceux de Kandel pour mener à bien ses recherches en neurologie aurait-il écrit les fondements de la psychanalyse ?

Kandel dans son livre autobiographique « A la recherche de la mémoire, une nouvelle théorie de l’esprit » explique que les synapses se modifiaient au grès de l’expérience et des apprentissages ce qui signifie que le cerveau se modifie grâce à l’expérience et le vécu de chacun.

Au 19ème siècle on se demandait si la communication nerveuse était de nature chimique où électrique. Grace au progrès des neurosciences et des microscopes électroniques on a pu répondre à cette question : il y a un signal électrique à l’intérieur de la cellule qui se transforme en message chimique à partir de la libération du neurotransmetteur qui va se fixer d’un neurone à un autre (décharge le long de l’axone pour permettre le contact chimique avec le neurone post synaptique).

Cette découverte par les neurosciences de la communication chimique va alors permettre à la psychothérapie et la psychiatrie de s’appuyer sur la pharmacologie dans la prise en charge des patients. L’utilisation de certaines molécules atténue les troubles nerveux, d’autres les addictions, d’autres encore les hallucinations en stimulant de manière chimique les neurotransmetteurs.

La pharmacologie peut lorsque cela est nécessaire permettre au patient d’être plus réceptif à la cure psychothérapeutique et être plus disponible intellectuellement. Mais aussi la découverte des traitements essentiels permettant le sevrage à une addiction (tabac, alcool) ou se substituant à une drogue comme la méthadone.

On peut dire également que les neurosciences peuvent s’appuyer sur les concepts de la psychanalyse afin d’y trouver des appuis qui lui permettrons de repérer l’émergence de l’unique au sein même des mécanismes biologiques généraux qu’elle découvre. Il y a une modification micro structurelle au niveau de la réorganisation des synapses qui va se faire selon les souvenirs de chacun en fonction des expériences de vie. Tout va s’inscrire dans le cerveau, et on peut parler d’une rencontre du soma et la psyché qui va engendrer la modification de celui-ci en fonction de l’histoire de chacun. Ses études sur la plasticité neuronale ont permis à Kandel d’obtenir un prix Nobel en 2000. Cela s’appelle le processus de potentialisation à long terme.

Il va donc faire des recherches pour expliquer la mémoire à long terme puisque les protéines de la membrane de la cellule se renouvelle tous les quinze jours. Ses découvertes vont se porter sur les mécanismes de l’ARN messager à l’extérieur du noyau qui va permettre le passage des informations par l’intermédiaire des ribosomes jusqu’à la cellule suivante.

On parle alors de consolidation mnésique de la mémoire à court terme labile lorsque celle-ci devient pérenne au cœur ADN de la cellule. Il s’agit là de potentialisation à long terme ou de dépression à long terme.

Que peut-on en déduire concernant l’apport dans l’étude de la psychothérapie ?

L’intervention du soma dans la mémorisation, la plasticité neuronale due aux échanges protéiniques entre les cellules dans la mémoire à court terme puis dans celle à long terme indique surtout que nous faisons là le trait d’union entre neuroscience et psychanalyse. Le « trait mnésique » réunissant les deux disciplines grâce aux connections neuronale et les mécanismes du souvenir auxquels ils renvoient.

On a pensé dans un premier temps qu’un souvenir à long terme inscrit dans la mémoire ne pourrait plus être modifié mais Christina Alberini a mis en évidence qu’un souvenir même une fois qu’il est consolidé est rendu insensible à certaines interférences, il peut néanmoins redevenir labile, lorsqu’il va faire l’objet d’une réactivation.

La thérapie cognitive qui fonctionne sur ce concept est l’EMDR consiste à réactiver la trace traumatique dans le but de pouvoir la modifier. Soit celle-ci est alors reconsolidée, soit réassociée dans une nouvelle chaine d’associations. C’est également le cas dans la théorie Freudienne de l’après coup, du souvenir avec réactivation des traces mnésiques d’une première scène avec un jeu d’association avec une nouvelle qui réactive la précédente.

Processus de consolidation au niveau des cellules neuronales qui inscrit les souvenirs de manière paradoxale en désinscrivant certains souvenirs pour les réinscrire en les réassociant à d’autres souvenirs. Freud en parle d’ailleurs dans son auto analyse de 1899 sur « les souvenirs écrans » Le principe de la cure est de reconsolider le souvenir avec la possibilité d’un avantage adaptatif. Il a donc mis en évidence le souvenir qui agit sur nous et nous détermine de manière consciente et peut être même surtout inconsciente.

La causalité linéaire étant dépassée par l’étude des réassociations mnésiques réassociations synaptiques et neuronales et la complexité des représentations des expériences comme notamment dans le rêve (déplacement et condensation). On peut parler d’adaptation au milieu pour la constitution de la mémoire à long terme est celle qui s’opère dans le cerveau dans le cadre de nos capacités adaptatives à l’environnement par le comportement mais aussi au point de vue du système nerveux. Curieux échange entre l’intérieur et l’extérieur, les modes de vie, les expériences de l’individu traumatiques ou non et la translation des expériences psychiques dans ses neurones et sa plasticité cérébrale.

Il est possible d’effectuer lors de la cure thérapeutique la déconsolidation des chocs post traumatiques afin justement de faire baisser l’intensité émotionnelle du souvenir. Lorsqu’un choc émotionnel nous fait perdre la mémoire cela est fait pour protéger le psychisme de l’individu : mécanisme de défense lié ici au refoulement. Freud parlait également du délire psychotique protecteur utilisé comme mécanisme de défense en cas de choc émotionnel.

Les traces neurologiques associées à l’oubli post traumatique psychique sont difficiles à distinguer pour l’instant à l’imagerie médicale mais le processus sémiologique est bien entendu identifié.

Si on analyse le phénomène neurologique en rapport avec la psychose maniaco-dépressive. Le premier épisode maniaque ou dépressif chez une personne est souvent lié à un évènement tragique de sa vie : deuil, perte. Puis ce mécanisme devient par la suite de plus en plus automatique, car le processus va s’entretenir.

Ceci peut s’appliquer dans certains cas aux troubles que qualifiait Freud de névroses actuelles. En effet, comme tout s’inscrit dans les mécanismes du cerveau on peut prendre l’exemple d’une phobie qui évolue en suite vers une agoraphobie on constate un passage vers un automatisme qui peut s’expliquer par une réduction sémiotique qui touche électivement certains circuits cérébraux. Nous constatons cela également dans les dépressions chroniques, exemple des dépressions saisonnières (répétition du même) mais aussi les troubles inhérents aux addictions puisque la substance crée une réponse au sein des circuits neuronaux.

Au-delà du principe de diagnostic et d’explications dans les points d’intersection entre neurologie et psychopathologie et ce que les découvertes neuronales ont apportées à cette dernière nous pouvons donc débattre sur clinique envisagée. Et se demander ce que va permettre la libre association dans une dynamique de guérison puisque la plasticité neuronale est à l’œuvre au niveau de notre système nerveux par rapport à l’inscription de notre expérience mais aussi de nos mécanismes de défenses psychiques.

Les traumas somatiques du cerveau sont aujourd’hui visibles grâce à l’imagerie médicale on peut donc y constater l’étendue des zones endommagées dans les AVC, traumas crâniens. Ce diagnostic va de fait nous permettre de distinguer l’origine des troubles et de pouvoir faire la différence avec les troubles schizoïdes d’origine psychiatrique qui peuvent provoquer entre autre des perturbations de la fonction signifiante de l’image du corps.

Nous pouvons également faire la différence entre un trouble de la mémoire à court terme traduit chez un patient par un trauma d’origine psychique ou somatique mais aussi découvrir grâce aux progrès des neurosciences par l’intermédiaire de l’imagerie cérébrale médicale que cela relève d’un début des dégradations du cerveau dues à la maladie d’Alzheimer.

Les progrès des neurosciences permettent aujourd’hui de différencier maladie psychiatrique et neurologique et de ne pas passer à côté d’un Alzheimer ou autre maladies neurologiques (parkinson, maladie de Charcot, Huntington) Celles-ci pourraient être confondues avec une dépression à un stade précoce de son développement juste simplement si on se base sur les signes apparents de désordre mental des patients. Les recherches sur l’épilepsie et les processus neuronaux qui vont permettre sa distinction (là ou Freud dans ses études sur l’hystérie essayait de trouver une signification psychique) en 2016 Lucien Mélèze aurait fait d’ailleurs la distinction entre les deux dans son ouvrage : « l’épilepsie au risque de la psychanalyse » corrélant les découvertes neurologiques récentes à ses études.

On peut également souligner la réalisation du diagnostic lors de la présence d’une tumeur du cerveau pouvant induire des hallucinations. L’imagerie va constater la tumeur alors que les symptômes hallucinatoires du patient pourraient laisser penser à des désordres psychotiques schizo-paranoïdes. L’imagerie encore une fois permet de faire la différence entre les deux en appuyant la véracité d’un examen médical ou psychothérapeutique effectué au préalable.

Certains troubles du comportement : troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité chez l’enfant sont constatés sur simple examen clinique. La pharmacologie prescrite pour palier à ce trouble (Ritaline, Qasim ou autre) utilisés sans abus apportent « une solution » mais n’exclut pas une prise en charge psychothérapeutique même si elle favorise dans l’immédiat les apprentissages de l’enfant.

La rencontre des progrès des neurosciences et Psychopathologie a apporté à cette dernière la possibilité d’assoir ses fondements mais aussi de les faire évoluer d’un point de vue diagnostique, mais également au niveau des pratiques en apportant des traitements utiles à la prise en charge des patients.

La neurologie apporte une vision scientifique indispensable dans les diagnostics et les orientations préconisées lors de la mise en place des traitements des patients.

Les recherches en neurologie portées sur certains des troubles neuro-développementaux de l’enfant comme l’autisme vont j’espère dans l’avenir pouvoir au grès des recherches donner lieu à des traitements ainsi des prises en charge encore plus appropriées en psychopathologie.